Dans sa géographie, la zone subsaharienne n’est pas complexe du point de vue géologistique : essentiellement des grands plateaux ou des plaines avec très peu de chaînes montagneuses pouvant faire obstacle (l’Éthiopie et le Kenya mis à part). Le climat et les zones désertiques d’une part et de végétation très dense d’autre part présentent des diffi cultés plus sensibles. Les précipitations sont souvent violentes et les routes faiblement goudronnées y résistent difficilement. Certains territoires pouvant être coupés du reste du monde, les délais d’acheminement des produits sont ainsi assez différents d’une saison à une autre. La question principale en Afrique subsaharienne réside dans les distances, et, plus particulièrement pour certains pays, dans celles pour accéder à la mer. En effet, une partie non négligeable des pays d’Afrique subsaharienne, 16 au total (2), sont des pays enclavés ne disposant pas d’accès direct soit à l’océan Atlantique (Niger), soit à l’océan Indien (Zimbabwe), soit à la mer Rouge (Éthiopie).
Comprendre les premiers déterminants d’une supply chain
Les supply chains en Afrique sont atypiques car elles sont avant tout désintégrées. Elles n’ont pratiquement pas encore de cohérence d’ensemble mais elles sont soit très vétustes ou très immatures, soit les deux à la fois. Ce continent doit être appréhendé pays par pays du fait des spécifi cités réglementaires et politiques de chacun d’entre eux, même si des similarités sont apparentes. Par construction, quand on parle de supply chain, on pense à un système intégré or, ce qui s’y rapporte en Afrique ne l’est pas. Le commerce africain est basé sur une logique simple : des matières premières non transformées qui s’exportent par navires entiers et des conteneurs qui s’importent avec des produits manufacturés par porte-conteneurs entiers.
Le commerce intra-africain est faible puisqu’il représente moins de 10 % du total des échanges. Si cela s’explique par différentes raisons, la pauvreté des infrastructures intérieures en est l’une des causes principales. La douane, et plus généralement la bureaucratie, reste un problème important car elle contribue à augmenter les délais (et les coûts…) de manière non raisonnable. La distribution terminale est généralement très atomisée à l’image de la distribution qui n’est pas encore dans une logique de concentration et de « one stop shopping ». Il y a donc des chaînes de transports cloisonnées et faiblement mutualisées. Pour ces pays, hors Afrique du Sud, six grandes caractéristiques des supply chains, (si l’on peut les nommer ainsi !), peuvent être signalées.
■ La première, relative à la finalité même des activités supply chain. Souvent, la notion de service se réduit au fait que les marchandises arrivent, un jour, en bon état. Dès lors la question du coût logistique devient centrale. Et pour des produits courants, il n’est pas rare de voir le poids de ces coûts atteindre des proportions inconnues avec un niveau de 40% du prix de revient d’un produit de consommation courante.
■ La seconde est relative à l’offre apportée par les prestataires logistiques. Elle est extrêmement limitée en capacité et en qualité. En dehors d’une offre aux standards internationaux concentrée sur quelques points sensibles, principalement les ports, le reste de l’activité logistique est tenue par des petits acteurs locaux. Or, ceux-ci ne disposent que rarement des moyens logistiques nécessaires à un bon niveau (beaucoup d’aléas) mais ils tiennent leur marché de manière monopolistique ou oligopolistique.
■ La troisième est relative au passage souvent nécessaire par des opérateurs privilégiés. Pour un distributeur ou un industriel de stature internationale, il est donc fréquent de faire appel à ces acteurs incontournables, et sans alternative possible, mais en finançant les investissements ou en leur facilitant l’accès au financement. Ainsi, ils permettent à ces opérateurs locaux de disposer des moyens attendus pour remplir des opérations logistiques à des standards compatibles avec l’image de ces grands groupes internationaux.
■ La quatrième est relative à la sécurisation des flux. Il n’est pas rare pour des flux sensibles, et donc pour beaucoup de flux en Afrique, de devoir mettre en oeuvre des solutions dédiées pour les sécuriser (regroupement, accompagnement…).
■ La cinquième est relative à la combinaison des moyens de transport au nombre de transbordements et au « routing » parfois inattendu. Vu la vétusté et le manque en infrastructures routières, il est rare de pouvoir ne faire appel qu’à un seul vecteur de transport pour livrer les marchandises.
■ La sixième est relative au recours limité à des schémas d’optimisation qui ont fait leurs preuves ailleurs. La recherche de consolidation est un principe de base en matière de supply chain. Le recours à des hubs en est la concrétisation. En Afrique, il n’est pas possible de consolider les envois car il faut envoyer pays par pays.
Le développement des infrastructures, la montée en puissance de la distribution de masse, les initiatives prises en termes de dérégulations progressives des marchés, la diminution des barrières douanières entre différents pays et la lutte contre la corruption, l’automatisation des procédures et l’implémentation de systèmes d’information dans les administrations devraient contribuer rapidement à accélérer la transformation des supply chains dans les pays de l’Afrique subsaharienne.
Analyse de Philippe-Pierre Dornier, professeur à l'Essec et président de Newton.Vaureal Consulting.
Source : www.voxlog.fr/